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Entre figuration et déformation / Interview de Yoko Carbonnel

Diplômée en 2016 de l'ESAM Caen-Cherbourg, Yoko Carbonnel travaille principalement le dessin et la peinture. Sa pratique artistique questionne essentiellement la perception, le langage et le motif.

En octobre 2020, Yoko Carbonnel participe à la deuxième édition du concours Art Canister Competition où elle expose ses œuvres inspirées de l’univers mystique de Sugarlandia, à la Galerie Joseph de Paris.

Photo : Yoko Carbonnel dans son atelier.

ENTRETIEN / Yoko Carbonnel

VOAR : Quelles sont tes sources d’inspiration ?

Yoko Carbonnel : Mes sources d’inspiration sont multiples et je papillonne énormément, ma réponse sera donc loin d’être exhaustive. Des dégradés à l’encre subtils de Claire Chesnier aux motifs éclectiques des jarres de Katia Kesic, les pratiques diversifiées de mes contemporain.es sont déjà un vaste champ de contemplation. Je regarde également la peinture des icônes, l’art de la renaissance et le moderne.

En dehors de ce qui constitue la noblesse de l’histoire de l’art j’aime aussi l’art des petits récits et celui des milieux populaires depuis les costumes de catch aux performances drag queen/king, les couleurs, les strass et le kitch ; tout ce qui tire un peu vers l’univers du Camp. L’art textile est aussi une source d’inspiration pour moi, dans sa forme « création de mode punk », les démarches écologiques de récupérations avec par exemple les peintures sur vêtements de Ana Castillo, ou encore les paysages textiles de Lou Ros qui utilise les tissus comme palettes et supports de l’œuvre à la fois.

VOAR : Comment relies-tu la perception et la couleur à ton travail ?

Yoko Carbonnel : Dans les moments contemplatifs, ce sont les couleurs qui m’animent le plus. Je ferme un œil ou les plisse pour percevoir plus ou moins les formes. Selon l’intensité et l’orientation de la lumière l’œil voit orange ou bleu, rose ou jaune, violet ou vert, avec ou sans lunettes, filtres vitrés, etc. C’est une obsession du quotidien.

Mes recherches se sont donc à un moment orientées vers la phénoménologie des couleurs et de la perception et je me suis particulièrement intéressé à la notion de « grille du langage ». Selon cette théorie de la perception, selon que l’on possède dans son langage plus ou moins de termes désignant les couleurs on distinguerait ou non certaines variations. L’anecdote la plus connue pour illustrer la dimension culturelle de la perception est celle des Inuits qui auraient une cinquantaine de mots pour qualifier la neige. Des observations ethnologiques démontreraient que là où un Européen ne percevrait que du blanc, un Inuit verrait les différences entre beaucoup plus de variations de blanc. Les liens entre perception et culture(s) me semblent fascinant et je l’aborde directement ou indirectement dans mes peintures. J’aime autant les couleurs vives que les sales, sans hiérarchie ni préférence, et mon intention quand je les arrange ne s’inscrit pas toujours dans une cohérence réalistique. Je privilégie les choix de mes palettes selon mon rapport subjectif aux couleurs et j’inscris cette démarche dans une recherche culturelle.

VOAR : Avant d’arriver à ton image finale, quels processus de recherche mets-tu en place ?

Yoko Carbonnel : Mon processus de travail est généralement lent. Le rythme ne s’accélère qu’au moment de la production mais entre l’idée et l’image il s’agit pour moi de distiller, lire, comprendre et filtrer des informations puis de me confronter à des expérimentations. Par exemple lorsque j’ai travaillé la soie, j’ai d’abord cherché des littératures sur les différentes techniques traditionnelles du batik, de la teinture textile et de la peinture sur soie. Après moult échantillons où je me confrontais cette fois physiquement à ces techniques, j’ai pu choisir de me défaire de certaines. C’est un peu comme sélectionner une recette de cuisine, pour ne pas la suivre.

Je travaille aussi souvent par la répétition du geste qui me permet de m’approprier les formes finales, ce qui est parfois perceptible au sein même de mes images : le motif se déforme, imparfait, révélant le rapport du corps au dessin.

VOAR : Pour toi, que signifie « être artiste » ?

Yoko Carbonnel : De même que j’évoque plus haut la notion de « grille du langage » qui fait office de filtre perceptif, j’imagine qu’être artiste c’est donner à voir son propre filtre, sa grille de lecture singulière. En cela il ou elle apporte un point de vue autre, parfois en marge de ce qui est normatif ou banalisé, ailleurs de ce que les regardeur.euse.s ont l’habitude de voir. Ainsi, l’artiste interpelle, interroge, véhicule à travers ses œuvres des émotions, communique ou très simplement, fait exister des alternatives.
 

VOAR : As-tu un rêve artistique ou un projet que tu as toujours voulu réaliser sans en avoir l’occasion ?

Yoko Carbonnel : Je pense à des projets d’installations. J’aime penser la peinture ou le dessin en dehors du cadre de la toile ou de l’image, mais produire ces pièces, qui parfois dévorent l’espace, sans avoir l’occasion de les mettre en scène, dans un lieu et un contexte, me semble une perte de sens. Si j’ai eu la chance de l’aborder un peu lors d’une exposition collective en 2020, avec l’installation de ma peinture sur soie suspendue, je rêve de répéter l’expérience.

La scénographie et la mise en espace du travail est quelque chose qui me plaît énormément, dans mes envies artistiques j’aimerais un jour m’y essayer ; quelque soit le cadre : projets collectifs, d’exposition, de décors de théâtre, festivals,… j’ai beaucoup de curiosité !