Les coups de cœur de Mathilde Jouen
Artiste, docteure en art contemporain et co-fondatrice de voar.fr, Mathilde Jouen nous fait part de ses propres goûts en matière d’art contemporain. A travers cet article qui sera le premier de notre série « Les coups de cœur de... », découvrez cinq œuvres choisies et détaillées qui ont accroché l’œil d’un.e professionnel.le ou amateur.e d’art contemporain.
Ces approches personnelles nous aideront à comprendre comment l’art interagit avec les vies et les parcours de chacun et comment il nous projette dans nos propres mondes intérieurs.
« J’aime les images depuis toujours. J’ai grandi dans un cinéma que ma famille tenait et j’allais voir tous les films que je pouvais, parfois même en pyjama. Et puis, l’image mouvante a laissé place à l’image fixe lorsque je suis entrée en école d’art. J’ai alors découvert que même les images fixes pouvaient raconter une histoire, beaucoup plus profonde et en résonance avec l’intime. J’ai aussi découvert comment l’acte de création pouvait donner du sens à la vie, comment il pouvait fabriquer une véritable mythologie personnelle et comment il aidait clairement à supporter le monde dans lequel nous évoluons aujourd’hui. »
Cinq œuvres que j’aimerais avoir chez moi :
1- « This is not your domain » de Guillaume Montier
This is not your domain, Guillaume Montier, 2020, peinture, 33 x 24 cm
Cette image me fascine par sa simplicité et sa beauté. Le travail de la lumière est très subtil. Les couleurs sont magnifiques et de plus, j’adore les oiseaux. Lorsque je la regarde, j’imagine tout un univers sonore qui s’anime autour de l’image. Quelque part, on pourrait dire que ça ne s’explique pas mais si je peux parler d’émotions, il y a des images qui soulèvent le cœur dans le bon sens, qui font tendre vers l’espoir et l’espoir est très présent dans cette image. Il y a aussi le titre qui y fait beaucoup, « This is not your domain » (Ce n’est pas votre domaine). On imagine que l’oiseau possède une voix intérieure et qu’il nous chasse de sa propre image, comme si, en tant qu’êtres humains, nous n’étions pas dignes de lui. Et c’est le sentiment que j’ai souvent par rapport au monde naturel : nous ne sommes malheureusement - et trop souvent - , pas dignes de lui comme nous le devrions.
2- « L’embrouille masquée » de Yoko Carbonnel
L’embrouille masquée, Yoko Carbonnel, 2020, peinture, 60 x 50 cm
Je trouve cette œuvre cocasse et séduisante. L’artiste m’a dit qu’il s’agissait d’un autoportrait et je la trouve encore plus étrange et pleine d’auto-dérision (une qualité que j’apprécie particulièrement). Il y a un jeu « sur les deux tableaux » (pour faire un mauvais jeu de mots) car la notion de genre est abolie. On ne sait pas si c’est un garçon au féminin ou une fille au masculin et ce doute est un sentiment très intéressant. Cela nous renvoie à la fois à nous même ou à une certaine perception de l’autre. Je trouve cet autoportrait très féminin voire féministe dans ses contours. Le discours est subtil, ce visage est beau et le flou en haut du tableau qualifie bien ce côté « brouillé » de l’image. Ainsi « L’embrouille masquée » porte bien son nom.
3- « Qu’est-ce que.. » d'Émile Orange
Qu’est-ce que..., Émile Orange, 2018, peinture, 55 x 33 cm
Un peu pour les mêmes raisons que « L’embrouille masquée » de Yoko Carbonnel, je trouve cette peinture belle et drôle. L’histoire se tisse autour de l’image avec ce personnage cagoulé qui s’aperçoit dans un miroir et semble être surpris par son propre reflet. On ne sait pas si c’est un cambrioleur ou simplement un anonyme. Il a l’air de se demander ce qu’il fait là, comme nous tous finalement. Dans la peinture d’Émile Orange, j’apprécie les couleurs très acidulées et les volumes toujours travaillés avec précision et élégance.
4- « Le bon compagnon » de Subbstrat
Le bon compagnon, Subbstrat, 2020, peinture, 50 x 61 cm
Je m’aperçois au fil de mes choix que j’aime vraiment la peinture figurative, sans doute car je ne sais pas en faire moi-même. Cette image a quelque-chose de drôle et d’inquiétant, elle possède un côté très « pop culture » et est en phase avec les tendances culturelles du moment. Les modelés et le fond sont très découpés, comme un collage. Je la trouve originale et presque « underground » (même si ça ne veut pas dire grand chose en art contemporain). C’est incongru, bien réalisé et ça fonctionne.
5 - « Vivarium » d’Adrian Caicedo
Vivarium, Adrian Caicedo, 2017, peinture, 195 x 130 cm
Ah si j’étais riche ! Je crois que j’aimerais vraiment pouvoir regarder tous les jours une œuvre comme celle-ci, monumentale et magique. C’est tout un univers qui s’ouvre, grandiose et parallèle au nôtre. Aux vues des dimensions, c’est presque une peinture immersive dans laquelle on entre sans problème. Les couleurs et la lumière sont sublimes, la technique et les détails sont incroyables. On ne peut s’en lasser car chaque jour, on pourra y découvrir quelque-chose de nouveau. C’est aussi avant tout pour moi une « vraie œuvre unique », comme toutes celles présentes sur la plateforme, elle ne se démodera pas avec le temps, elle ne sera jamais ringarde. Bien au contraire, elle fabriquera du sens au fil des années, car la beauté ne vieillit pas.