Art Urbain / Interview d'Oré
Pour mieux comprendre d’où vient l'Art Urbain et comment il est devenu un langage à part entière, nous avons posé 5 questions à Oré. Street artiste et figure de cette pratique artistique, il développe depuis plusieurs années un travail aux quatre coins du monde.
Difficile de passer à côté de ses fresques ou de ses images de prédilection comme le fameux serpent à plumes Quetzalcóatl ou encore Le Chat Poché car Oré multiplie les interventions aussi bien en France qu’à l’étranger. Nous l’avons interrogé sur sa propre vision de l'art urbain et sur la manière dont celui-ci s’inscrit dans l’évolution de l’art contemporain.
Dans cet interview, l’artiste nous exprime un point de vue forgé par ses valeurs, ses expériences et son parcours, précisant que d'autres artistes urbains pourraient tenir un discours radicalement différent du sien.
Oré, Graffitistory N18, 2019, aérosol, posca et pochoir sur carton entoilé, 51 x 60 cm.
ENTRETIEN / Oré
VOAR : D'où vient le Street Art ?
Oré : Le terme "street art" est déjà en-lui-même sujet à débat. Il a commencé à être utilisé par des non-artistes, des gens extérieurs au milieu, journalistes notamment, il y a environ 15 ans.
Avant que ce mot "street art" n'apparaisse, le Graffiti existait depuis les années 1970 aux États-Unis, et s’est répandu en Europe dans les années 1980.
Le graffiti à la bombe dominait largement les rues jusqu'aux années 2005 environ.
Depuis, d'autres pratiques comme le pochoir, le collage d'affiche, les grandes fresques légales, et autres techniques, cohabitent dans l'espace urbain avec le graffiti sauvage.
Désormais, on regroupe sous l’appellation "street art" ou "art urbain" toutes ces pratiques qui ont comme point commun d’occuper l'espace public, principalement en ville.
Et ce, sans axe esthétique ou technique précisément déterminé. Donc il y a de tout. Ça part dans tous les sens au niveau du propos, de l'esthétique, de la technique,...
Le seul point commun c'est cette utilisation délibérée de l'espace public.
Mais ça peut être autant pour dénoncer un état de fait ou interroger sur un fait de société, que pour faire sa promotion de carrière, ou simplement par plaisir. Les motivations sont elles aussi multiples, et parfois contradictoires entre elles. Le spectre va ainsi de l'anarchiste au RSA à l'artiste entrepreneur ultra-libéral, avec toutes les couleurs de la société entre ces deux extrêmes.
VOAR : Qui est à l’origine du street art ?
Oré : Des gens de tous milieux sociaux. Le graffiti présente quand même une sociologie un peu particulière, avec pas mal de personnes issus de milieux populaires. Ce qui demeure un peu moins le cas chez les pochoiristes, les colleurs, les muralistes. Mais forcément, il y a de nombreuses exceptions à cette remarque.
VOAR : D'où vient ton motif de prédilection ?
Oré : J’ai réalisé plusieurs séjours au Mexique et en Amérique Centrale. C'est donc par la découverte de l'art précolombien que j'ai intégré le Quetzalcóatl, le serpent à plumes, dans ma peinture. Quetzalcóatl est un dieu majeur des civilisations mayas, aztèques, ou toltèques.
VOAR : Dirais-tu de ta pratique qu'elle est engagée ?
Oré : "Engagé", je suis quelque peu fatigué de ce terme. J'ai vu trop d'artistes utiliser ce terme pour se donner une légitimité, voire une bonne conscience. Bien sûr, plein de créateurs sont sincères quand ils dénoncent des inégalités, des maux sociaux. Heureusement ; il ne faut pas devenir cynique. Mais je ne suis plus naïf sur les motivations, souvent inconscientes d'ailleurs, de certains artistes soit-disant impliqués dans les questions de société.
Pas mal de gens espèrent ainsi gagner leurs galons de rebelle et atteindre une visibilité, sans prendre beaucoup de risques.
En ce qui me concerne, j'ai été longtemps associé à l'anar-artiste de service.
J'ai peint beaucoup de manière illégale, avec pas mal d’arrestations, avant d'acquérir une certaine légitimité aux yeux de la société. Le regard des gens a beaucoup changé. On est passé du statut de "vandales adolescents attardés" à "artistes branchés" en quelques années. Je continue à peindre souvent sans autorisation. J'ai soutenu et me suis investi dans plein de projets associatifs ou politiques revendicatifs.
Je continue encore, mais avec un peu de recul. Je peux peindre un mur gratuitement pour une asso qui démarre, si leur projet me plaît. Par exemple, je viens de faire un visuel pour soutenir des prisonniers politiques au Nicaragua, car j'ai un lien personnel avec ce pays, désormais sous dictature.
En tout cas, dans mon art, j'ai toujours cherché à toucher le plus de gens possible, de tous milieux sociaux.
VOAR : De ton point de vue, qu'est ce qui rapproche aujourd'hui le street art de l'art contemporain ?
Oré : Alors là... je bulle. Le street art est tellement divers, l'art contemporain aussi. La réflexion première qui me vient est que les deux peuvent être parfois opposés.
Pas mal d’œuvres classées street art sont immédiatement compréhensibles pour un public non averti. En faisant des références simples au dessin animé, aux jeux vidéos, à des films de super-héros, par exemple. Et par ces biais, être en connexion avec notre époque et le plus grand nombre de personnes. Mais cela amène aussi à des créations street art parfois "faciles à digérer", sans véritable âme, peu intéressantes.
Alors que l'art contemporain va demeurer plus élitiste, s’adresser à des gens qui auront les clefs pour résonner sur le pourquoi d'un monochrome, alors que le prolo ne pourra y être sensible. Cependant, ce type de création d'art contemporain peut fortifier la réflexion intellectuelle, approfondir notre être, notre expérience au monde. Tout en étant aussi parfois incompréhensible, vide et prétentieux.
L'éternel débat entre vulgarisation et excellence dans l’art.