Description de l'œuvre
L’espace du tableau est une brèche, à la fois temporelle et spatiale. J’envisage mon support comme un "templum", un espace délimité, le lieu d’observation qu’utilisaient les augures pour interpréter les présages; un arrêt, un espace et un temps d’arrêt et de réflexion. Cet espace, je le conçois faisant partie d’un tout simplement suggéré. Les formes coupées (jambes, feuillage) indiquent ce hors champ; la scène se poursuit au-delà du tableau, elle déborde. Le temps est présent, se manifeste par la technique de la peinture l’huile qui impose sa temporalité et ainsi que par la représentation d’un corps vieilli qui est dépôt, marquage du passage. Les corps enchâssés sont imbriqués dans une profondeur qui les englobe. Une profondeur faite de superpositions de feuilles, d’aplats translucides qui voilent les corps. Toute une végétation à la fois abris et envahissement. Des liens, une complexité entre les figures, un jeu entre les figures et le végétal; un dialogue entre l’humain et le végétal. « Faudra se serrer Comme une forêt vierge Faudra se mêler Nos lianes infinies » Bashung Dehors
À propos de l'artiste
Partant de la posture de me prendre comme modèle, objet et non sujet, j’utilise depuis vingt-cinq ans ce personnage archétypal dont le reflet est dépossédé de personnalité pour n’être qu’un corps-lieu, une in-carnation. Dans ce dispositif contraignant et répétitif de ce corps bipolaire – modèle et peignant -, je cherche la tension, tension du corps.Ce corps unique et multiplié m’a servi et me sert à un déploiement de questionnements autour de l’humain et sa place dans l’espace et dans le temps.
Depuis quelques années, je me réfère à la peinture des primitifs flamands et travaille très souvent sur bois et sur fond noir.
Le fond noir me permet de faire émerger la figure, de l’en extraire pour en souligner l’évanescence. Quant au bois, il offre un rendu très lisse, une matière qui disparaît au profit du glacis.
Les glacis comme une inscription en palimpseste illustrent le dépôt du temps sur le corps, la peau. Ce rendu de vieillissement me fascine. (cf. Le portrait de sa mère à 63 ans de Dürer, la Clotho de Camille Claudel, les autoportraits d’Alice Neel et Helen Schjerfbeck)
Le regard incisif des personnages questionne, interpelle et parfois dérange; ce regard, cette frontalité sont dûs à la quête de l’image dans le miroir.
Cette problématique de la vulnérabilité résonne chez les personnes attachées à l’humain, à l’autre, au care. Les amateurs.rices de danse contemporaine sont sensibles à ces corps authentiques dans des poses souvent grotesques, des liens aléatoires, cette accumulation de personnages qui structurent l’espace de la toile.
La taille, la forme disent l’humain. Tout doit se jouer dans une envergure moyenne, à portée de main, à portée de corps. Puisque posant, je peins.